Rachid BOUHADDOUZ
Alors que le Royaume du Maroc connaît des discussions renouvelées sur les modifications proposées au Code de la famille, une question cruciale émerge : comment concilier les particularités marocaines avec le respect des principes religieux face aux défis contemporains ? Les critiques des modifications proposées expriment souvent leurs craintes de dépasser les limites légales et de se laisser influencer par les normes occidentales, considérées comme incompatibles avec la structure sociale et culturelle marocaine. Mais ces craintes sont-elles vraiment justifiées ? Et comment peut-on les aborder en comprenant mieux les traditions religieuses et culturelles marocaines ?
Les interprétations religieuses modérées comme base des modifications
D’abord, il est essentiel de souligner que l’Islam est par nature une religion qui prône la justice, l’égalité, la compassion et l’équité, offrant une marge d’ijtihad (effort d’interprétation) en fonction du temps et du lieu. On peut dire que les modifications proposées répondent aux nécessités de l’époque et tentent de traiter des questions sociales urgentes, tout en préservant les valeurs fondamentales de la religion, qui accorde une place spéciale à la femme. Le Coran et la Sunna sont remplis d’exemples soulignant les droits des femmes et leur rôle actif dans la société. Ainsi, les changements proposés au Code de la famille visent à combler les lacunes empêchant une véritable égalité entre les sexes, en s’appuyant sur les directives religieuses comme base de la législation, à travers des interprétations religieuses modérées prenant en compte le contexte des textes juridiques et les besoins contemporains.
Les modifications proposées au Code de la famille marocain portent en elles la possibilité d’un changement significatif de la place de la femme dans la société et de sa structure sociale globale. Ces changements ne visent pas seulement à renforcer les droits des femmes, mais aussi à établir l’équilibre et la justice sociale pour tous les membres de la famille.
Les coutumes marocaines
Depuis toujours, les Marocains ont utilisé les coutumes pour gérer leurs affaires publiques. Lorsque l’Islam est arrivé, les coutumes ont continué à jouer un rôle central dans la vie quotidienne et le système législatif, notamment dans les régions amazighes. Les coutumes marocaines soulignent l’ancienneté et la spécificité de l’identité marocaine et son enracinement dans l’histoire. Elles contribuent également à préserver l’identité culturelle, à renforcer l’appartenance communautaire, à favoriser les liens sociaux et à transmettre les valeurs de génération en génération.
Malgré l’Islamisation des Marocains, ils l’ont adapté à leurs spécificités et à leur culture. Par exemple, les sept peines islamiques n’ont jamais été appliquées au Maroc. À ce sujet, Hassan Al-Wazzan, connu sous le nom de Léon l’Africain, qui a vécu au XVIe siècle, a écrit dans son livre “Description de l’Afrique” qu’en visitant certaines tribus amazighes, il a observé qu’elles se basaient sur les coutumes pour gérer les crimes. Si une personne commettait un crime, la peine était décidée par le responsable des musulmans ou son représentant, en fonction de certains éléments comme la nature du crime et la situation du coupable.
Tandis que la plupart des législations mondiales, notamment au Moyen-Orient, berceau des religions monothéistes, ont adopté le principe “œil pour œil, dent pour dent, vie pour vie” depuis les codes d’Hammourabi jusqu’aux religions monothéistes, les Marocains avaient une approche différente. La philosophie législative amazighe considérait que répondre à un crime par un autre était en soi un crime. Par exemple, répliquer à un meurtre par une peine de mort signifiait que l’on perdait deux vies au lieu d’une. Les Amazighs peuvent donc être considérés comme le premier peuple au monde à avoir aboli la peine de mort, alors que l’humanité n’a atteint ce niveau qu’au cours des dernières décennies avec la montée de la culture des droits de l’homme, notamment dans les pays occidentaux.
La peine maximale dans la législation coutumière amazighe était l’exil. L’être humain amazigh vénère la terre, qui atteint le rang de la mère dans la mythologie collective. Bannir quelqu’un de sa terre était donc plus sévère que la mort. C’était une punition appropriée visant à tuer le criminel moralement tout en lui offrant une chance de se racheter dans une nouvelle vie loin de sa tribu et de sa terre, bien que ce ne soit pas facile. Cette coutume a réussi à créer une société cohérente et pacifique, renforçant les liens sociaux, comme en témoignent de nombreux écrits sur la vie des communautés amazighes.
L’émancipation des femmes dans les coutumes amazighes
Nombreux sont ceux qui s’opposent à l’émancipation des femmes dans la législation marocaine en affirmant que l’égalité est une valeur occidentale imposée aux Marocains. C’est une fausse assertion qui reflète l’ignorance de nombreux Marocains quant à leur propre histoire et culture. Les coutumes amazighes ont été pionnières dans l’égalité des femmes, partant du principe que la femme est physiquement moins forte que l’homme, et ont donc cherché à combler cette lacune et à équilibrer la relation entre hommes et femmes en faveur des femmes dans la législation.
Le premier signe de l’estime pour les femmes dans la culture amazighe est le terme “Tamghart” utilisé pour désigner les femmes, qui porte de nombreuses connotations positives (leader, sage, grande…). C’est le féminin de “Amghar” qui désigne le chef de la tribu. Ainsi, chaque foyer avait une “cheffe”, reflet linguistique de la place de la femme dans la société amazighe. Comme mentionné précédemment, la peine maximale dans les coutumes amazighes était l’exil, appliquée également en cas de divorce. Le divorce était interdit dans les coutumes amazighes et assimilé à un meurtre, car répudier une femme était considéré comme la tuer moralement. Par conséquent, l’homme qui divorçait était exilé, et la femme divorcée honorée, comme une forme de compensation. Cette pratique persiste dans certaines tribus isolées du Sahara, notamment au Sahara marocain et chez les Touaregs.
Les coutumes se sont également rangées du côté des femmes contre la violence avec des peines sévères. Si la violence laissait une marque ou une trace, l'”Amghar” se plaçait à côté de la femme violentée, reculait jusqu’à ce que la marque disparaisse de sa vue. Plus la marque était grande, plus il reculait, chaque pas se traduisant par une amende souvent payée en moutons ou en chèvres, et parfois en vaches dans les tribus plus riches.
“Tamazalt” ou “Kadd wa Saa’ya”
Le principe de “Kadd wa Saa’ya” reflète l’idée d’un partage équitable des biens familiaux, garantissant la dignité des individus et un partage juste des richesses accumulées pendant le mariage, qu’il s’agisse de travail direct sur la terre, des soins domestiques ou de l’éducation des enfants. Cette coutume amazighe a appliqué ce principe bien avant que d’autres peuples ne reconnaissent la femme comme une partie des biens de l’homme. L’amazigh a instauré l’égalité, faisant de la femme une partenaire dans les gains accumulés pendant la relation conjugale. Le législateur marocain a relativement reconnu ce principe dans l’article 49 du Code de la famille, qui a été accepté par de nombreux juristes marocains malgré l’opposition des fondamentalistes qui insistent sur le fait que “la femme n’a droit qu’à ce que prévoit le système d’héritage en Islam”.
La société matriarcale
Le statut avancé de la femme dans les coutumes et la réalité marocaines trouve ses racines dans le fait que les Marocains étaient une société matriarcale avant d’adopter l’apparence d’une société patriarcale en embrassant l’Islam. Cependant, la culture matriarcale est restée vivante dans l’inconscient des Marocains, notamment parmi les locuteurs amazighs, qui attribuent souvent une personne à sa mère. En amazigh, le terme pour frère et sœur signifie littéralement “fils de ma mère” et “fille de ma mère”. Les Marocains, en particulier les amazighs, vénèrent ainsi le statut de la femme et de la mère.
L’objectif de la charia et l’émancipation des femmes
Il est nécessaire de se concentrer sur les objectifs et les finalités supérieures de la charia, notamment en matière d’émancipation des femmes à notre époque et d’adaptation aux changements économiques et sociaux pour présenter une vision contemporaine du statut de la femme dans la société. En s’appuyant sur les principes de justice, d’égalité et de dignité humaine, qui sont fondamentaux dans la législation islamique, l’émancipation des femmes n’est pas une question moderne mais fait partie intégrante du message islamique et d’une compréhension profonde de la charia et de ses applications. La jurisprudence des finalités (maqasid) peut servir de base pour relever les défis contemporains auxquels les femmes sont confrontées, tels que l’écart économique entre les sexes, les inégalités dans l’éducation et les questions de violence contre les femmes.
Les grandes transformations que connaît la société marocaine et
le changement dans les modes de vie et les responsabilités, où les femmes jouent un rôle politique, social et économique croissant, nous permettent de dire avec fierté que les femmes marocaines sont devenues des partenaires des hommes dans la construction du Maroc de demain. Elles ont besoin d’un arsenal législatif qui protège et préserve leurs droits, en combinant tradition et respect de l’identité culturelle et religieuse avec modernité et adaptation aux évolutions de la société.