Rachid BOUHADDOUZ
La transition démocratique au Maroc, allant de la période de règne du roi Hassan II à celle de son successeur Mohammed VI, n’est pas seulement un transfert de pouvoir entre père et fils, mais constitue un exemple de changement progressif dans le système politique et social d’un pays cherchant à équilibrer tradition et modernité d’une part, et stabilité et réformes d’autre part. Le Maroc a ainsi évolué d’un système centralisé vers un système plus ouvert, pluraliste et transparent, annonçant le début de la construction de l’État moderne ou du Maroc de demain.
Sous le règne de Hassan II, le Maroc avait un système politique considéré comme l’un des plus fermes de la région. Ses politiques centralisées et sa répression de l’opposition ont entraîné des périodes de troubles internes et de conflits, marquées par des coups d’État, ce qui a conduit à un climat de méfiance entre le palais et son entourage politique et social. Cette période est connue sous le nom de “Années de plomb”, une période marquée par une répression politique contre les opposants et une restriction des libertés, augmentant ainsi le besoin de changement.
Conscient de cette situation, le roi défunt Hassan II a introduit vers la fin de son règne des réformes politiques progressives, notamment en permettant des élections législatives et le multipartisme, bien que limité, marquant ainsi le début de l’ouverture politique du pays. Cependant, ces initiatives et mesures n’ont pas eu un impact clair en faveur de la démocratisation du système politique autant qu’elles étaient une façade de marketing externe, les conditions politiques ne changeant pas significativement, surtout au niveau de la méfiance mutuelle entre le palais et les autres acteurs.
L’accession au trône du roi Mohammed VI en 1999 a marqué un tournant dans l’histoire moderne du Maroc. Son règne est venu avec des attentes élevées pour la réalisation de réformes et de modernisation, en tournant la page du passé avec toutes ses douleurs et ses cicatrices. Le roi Mohammed VI a pris des mesures audacieuses pour renforcer la démocratie et les droits de l’homme, adoptant une politique de main tendue envers les opposants et les mécontents. Il a également réagi positivement aux régions qui avaient subi des punitions collectives sous le règne de son père, gagnant leur sympathie et leur amour. Les journaux ont même rapporté que le nouveau roi avait versé des larmes lors de sa première visite à Al Hoceïma après son accession au trône, ému par l’accueil chaleureux de ses habitants, faisant de la région du Rif son lieu de vacances préféré. Cette visite a envoyé un message important sur les caractéristiques du nouveau règne et du Maroc réconcilié avec lui-même. Il a ensuite effectué une visite historique dans le fief des tribus de l’Atlas et a prononcé un discours historique à Ajdir, affirmant que l’amazigh constitue un élément essentiel de la culture marocaine et que sa promotion est une responsabilité nationale, rompant ainsi avec les politiques précédentes en matière d’identité nationale. Cette nouvelle ère a clairement défini les contours de l’État national moderne, fier de la nation marocaine, visant la modernité, l’État de droit, l’égalité et l’amélioration de la condition des femmes, ainsi que le renforcement des libertés médiatiques.
Les efforts pour construire un État moderne et démocratique n’étaient pas seulement une volonté de changement, mais une nécessité pour suivre les développements mondiaux et les alliances futures du Maroc, ainsi que pour répondre aux aspirations du peuple marocain, de plus en plus conscient et désireux d’un avenir meilleur.
Cependant, le chemin vers la modernité n’a pas été facile pour le Maroc, nécessitant de faire face à la scène politique héritée de l’ère précédente, considérée comme déformée et complexe. Les partis politiques traditionnels étaient liés à l’ère précédente, tirant leur légitimité soit de leur loyauté envers le régime, servant simplement de canaux pour ses politiques, soit de leur opposition au régime pour attirer une large tranche de mécontents de la situation du pays, la plupart étant de tendance gauche, qui ont rapidement brûlé leurs cartes avec le gouvernement d’alternance. Le plus grand mouvement d’opposition organisé restait en dehors du jeu politique, attendant de reproduire la vague des Frères musulmans du Levant au Maroc.
Les partis traditionnels marocains, héritant de pratiques de l’ère précédente, ont eu du mal à s’adapter aux nouveaux changements de la scène politique, échouant à contrer la vague des Frères musulmans, cet échec étant en partie dû à leur perte d’identité idéologique, souffrant d’un manque de renouvellement de leurs élites et de leur discours politique, et incapables de proposer des programmes politiques convaincants répondant aux aspirations du peuple marocain et en accord avec leurs convictions et leur identité. Cela a conduit à l’émergence d’alliances inattendues entre certains de ces partis et les courants islamistes, malgré leurs divergences idéologiques, dans une tentative de maintenir leur influence politique après avoir constaté une faiblesse dans leur représentation politique et populaire.
Ces défis pour les partis traditionnels marocains constituent un obstacle majeur au projet modernisateur du roi Mohammed VI. L’échec de ces partis à se renouveler et à s’adapter aux exigences politiques et sociales modernes crée un vide dans la scène politique, pouvant affecter négativement les efforts de modernisation et de développement. Les alliances inattendues avec les partis islamistes soulèvent des questions sur l’avenir des orientations libérales et laïques au Maroc, nécessitant des dirigeants politiques et de nouvelles élites de trouver des moyens innovants pour équilibrer les traditions sociétales et les exigences de l’époque.
Dans ce contexte, une restructuration de la scène politique marocaine s’imposait. La solution ne résidait pas dans le recyclage des visages anciens ou des stratégies dépassées, mais dans le renouvellement du discours politique et l’adoption de nouvelles approches répondant aux aspirations du peuple marocain, en harmonie avec la vision modernisatrice de Mohammed VI pour le Maroc de demain. L’État marocain a alors réfléchi à la manière de combler le vide laissé par les partis traditionnels pour faire face à cette réalité. Le pari était de créer un nouveau pôle libéral pouvant faire face à la montée des Frères musulmans en provenance du Levant, et former un moteur de développement, présentant le visage moderniste du Maroc ouvert à l’Occident, le positionnant comme une destination sûre et distinctive pour l’investissement et le tourisme dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.
La création du mouvement “Pour tous les démocrates” et la fondation du Parti Authenticité et Modernité (PAM) ont été des réponses stratégiques à ce besoin. Le mouvement “Pour tous les démocrates” était la première étape dans la construction de ce nouveau pôle libéral, rassemblant des personnalités influentes et des penseurs ayant des visions diverses mais partageant la volonté de provoquer un changement fondamental dans la scène politique marocaine. De ce rassemblement est né le Parti Authenticité et Modernité, une nouvelle force politique visant à combler le vide laissé par les partis traditionnels. Son orientation vers la modernité et l’ouverture incarne cette nouvelle vision. Le mouvement “Pour tous les démocrates” regroupait des personnalités intellectuelles et politiques diverses, menant à la formation du parti.
Cette dynamique a donné une nouvelle impulsion à la politique marocaine, présentant le PAM comme une alternative réelle et renouvelée face aux partis traditionnels. Sa capacité à allier réalisme dans son discours et engagement envers le projet d’État moderne a attiré de nombreux partisans, notamment parmi les jeunes et les catégories aspirant au changement et au renouveau dans la vie politique marocaine.
Cette dynamique a conduit les autres partis et organisations à adopter une position hostile claire contre le PAM, utilisant tous les moyens disponibles pour attaquer le parti et ses dirigeants. Ces attaques ont dépassé les limites de la critique politique habituelle, atteignant des niveaux de trahison et de diffamation, accusant le PAM d’être une création du “Makhzen” (le régime) et des amis du roi, et tentant de lier ses dirigeants à la corruption financière et à l’influence sans fournir de preuves concrètes. Ces attaques visaient non seulement à affaiblir la position du parti sur la scène politique, mais aussi à saper la confiance des électeurs et de l’opinion publique dans la capacité du PAM à offrir une alternative politique fiable.
Les confrontations contre le PAM n’étaient pas limitées aux campagnes médiatiques hostiles, mais incluaient aussi des luttes de plus grande envergure stratégique, notamment après les élections de 2016, où le PAM s’est trouvé confronté à des partis progressistes en apparence, mais qui se sont rapidement alliés aux islamistes pour obtenir des portefeuilles ministériels, créant ainsi un nouveau défi pour le parti dans la réalisation de ses objectifs politiques.
Le PAM a fait face à ces défis avec une vision claire et un attachement à ses principes, refusant de participer aux négociations pour former un gouvernement avec un parti qu’il considère comme opposé à son projet politique. Cette position a provoqué des débats internes au sein du parti, entre ceux attachés à l’essence du projet et ceux regrettant la perte de l’opportunité de partager le pouvoir.
Avec le temps, cette division est devenue une crise interne, avec des voix appelant à une alliance avec les islamistes, ignorant les objectifs et les principes fondateurs du parti. Ce conflit interne s’est exacerbé, conduisant à la prise de contrôle du parti par le courant “Futur” et à la marginalisation de ses figures historiques, transformant ainsi le parti d’un projet national ambitieux en un parti traditionnel cherchant sa place sur la scène politique.
Dans un développement surprenant, le parti a commencé à se rapprocher des islamistes, utilisant ses plateformes officielles pour publier leurs activités et nouvelles. Ce changement de position n’a pas été bien accueilli par tous au sein du parti, certains dénonçant la capture du projet initial du PAM et appelant à un retour aux fondements qui caractérisaient le parti à ses débuts.
Bien que le parti ait réussi à sauver la face grâce à la chute retentissante de l’allié attendu lors des élections législatives de 2021, les récents scandales de corruption impliquant des membres influents du parti remettent en question la nécessité d’injecter du sang neuf et de reconsidérer le chemin et le destin du parti. Le PAM se trouve à un carrefour crucial, où le prochain congrès du parti sera l’occasion de réconciliation interne et de réaffirmation de l’engagement envers le projet originel du parti. Ce sera aussi une opportunité de concilier les différentes factions au sein du parti et de recentrer les efforts vers la réalisation de la vision du roi Mohammed VI pour un Maroc moderne.
La question demeure : le PAM réussira-t-il à surmonter cette crise et à retrouver son rôle de locomotive du projet de l’État moderne ? Les prochains jours nous le diront.
En conclusion, la transition démocratique au Maroc se présente comme une épopée de changements profonds et de défis constants. Du règne du roi Hassan II avec ses défis et conflits, à celui de Mohammed VI et sa vision moderniste, le Maroc a connu des tentatives continues pour forger un avenir marqué par l’équilibre et le développement. Les événements vécus par le Maroc, des “Années de plomb” à l’actuelle ouverture politique et sociale, reflètent le parcours d’un peuple en quête de liberté et de justice sociale, et d’un État cherchant à équilibrer le respect de ses traditions et l’adoption de la modernité.
Dans cette longue et complexe route vers la transition démocratique au Maroc, le Parti Authenticité et Modernité (PAM) émerge comme un acteur clé de ce processus, né à un moment charnière de l’histoire du Maroc, confronté à de nombreux défis de la part des partis traditionnels et d’autres courants politiques, ainsi qu’aux conflits internes qu’il a connus. Néanmoins, son avenir reste incertain, se trouvant à un carrefour qui pourrait déterminer sa trajectoire dans les années à venir.
D’une part, le parti pourrait connaître un renouveau et renforcer sa position dans la scène politique marocaine s’il parvient à surmonter les divisions internes et à unir ses rangs autour d’une vision claire répondant aux aspirations du peuple marocain pour la modernité et le développement. En réaffirmant les principes fondamentaux du parti et en renforçant la transparence et la démocratie en son sein, cela pourrait être la première étape vers la reconquête de la confiance des électeurs et l’obtention d’une position plus forte dans la scène politique. D’autre part, si les divisions et les conflits internes persistent, le parti pourrait risquer de perdre sa place en tant que parti central dans la politique marocaine. Ce scénario pourrait laisser la place à l’émergence de nouveaux partis ou à la consolidation de partis existants adoptant les mêmes valeurs et principes que défend ce parti.
En somme, le PAM se trouve face à de multiples choix et parcours potentiels, avec la possibilité de jouer un rôle important dans la formation de l’avenir politique et social du Maroc. Que ce soit en continuant comme une force politique majeure défendant la modernité et le développement, ou en étant contraint de réévaluer son existence face à des défis sans précédent. Ce qui est certain, c’est que les jours à venir seront décisifs dans la détermination de son destin et de son rôle dans le Maroc de demain.